Déclaration de principe« Le bien s'est fait hydre. C'est ce qu'on nomme la Révolution (...)
La Révolution, tournant climatérique de l'humanité, se compose de
plusieurs années. Chacune de ces années exprime une période, représente un
aspect ou réalise un organe du phénomène. 93, tragique, est une de ces années
colossales. Il faut quelquefois aux bonnes nouvelles une bouche de bronze. 93
est cette bouche.
Ecoutez-en sortir l'annonce énorme. Inclinez-vous et restez effaré, et
soyez attendri. Dieu la première fois a dit lui-même fiât lux, la seconde fois il l'a
fait dire.
Par qui ?
Par 93.
Donc, nous hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure :
— Vous êtes 93.
Mais qu'on ne s'arrête pas là. Nous sommes 89 aussi bien que 93. La
Révolution, toute la Révolution, voilà la source de la littérature du dix-neuvième
siècle.
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Sur ce, faites-lui son procès, à cette littérature, ou son triomphe, haïssez-la
ou aimez-la, selon la quantité d'avenir que vous avez en vous, outragez-la ou
saluez-la; peu lui importent les animosités et les fureurs ! elle est la déduction
logique du grand fait chaotique et génésiaque que nos pères ont vu et qui a
donné un nouveau point de départ au monde. Qui est contre ce fait, est contre
elle; qui est pour ce fait, est pour elle. Ce que ce fait vaut, elle le vaut. Les
écrivains des réactions ne s'y trompent pas; là où il y a de la révolution, patente
ou latente, le flair catholique et royaliste est infaillible; ces lettrés du passé
décernent à la littérature contemporaine une honorable quantité de diatribe; leur
aversion est de la convulsion; un de leurs journalistes qui est, je crois, évêque,
prononce le mot "poète" avec le même accent que le mot "septembriseur"; un
autre, moins évêque mais tout aussi en colère, écrit : Je sens dans toute cette
littérature-là Marat et Robespierre. (...)
Ah ! cette affirmation nous convient, et en vérité, nous ne reculons pas
devant elle; avouons notre gloire, nous sommes des révolutionnaires. Les
penseurs de ce temps, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes,
tous, tous, tous, dérivent de la révolution française. Ils viennent d'elle, et d'elle
seule. 89 a démoli la Bastille; 93 a découronné le Louvre. De 89 est sortie la
Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93; les hommes du dix-neuvième siècle
sortent de là. C'est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d'autre
filiation, d'autre inspiration, d'autre origine. Ils sont les démocrates de l'idée,
successeurs des démocrates de l'action. Ils sont les émancipateurs. L'idée
Liberté s'est penchée sur leurs berceaux. Ils ont tous sucé cette grande mamelle;
ils ont tous de ce lait dans les entrailles, de cette moelle dans les os, de cette
sève dans la volonté, de cette révolte dans la raison, de cette flamme dans
l'intelligence. (...)
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La Révolution, c'est la France sublimée. Il s'est touvé un jour que la France
a été dans la fournaise; les fournaises à de certaines martyres guerrières font
pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange.
Aujourd'hui pour toute la terre la France s'appelle Révolution; et
désormais ce mot. Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu'à ce
qu'il soit remplacé par
le mot Harmonie. (...)
Oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les
impostures, oui pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure
logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever,
pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu'on guérisse,
oui, pour transformer la charité en fraternité, l'aumône en assistance, la
fainéantise en travail, l'oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l'iniquité
en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation,
les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières
en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en
temples, l'instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en
hommes, oui, pour ôter des religions l'enfer et des sociétés le bagne, oui, pour
être frère du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l'ex-
ploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l'enchaîné, du sacrifié, de la prostituée,
du forçat, de l'ignorant, du sauvage, de l'esclave, du nègre, du condamné et du
damné, oui, nous sommes tes fils. Révolution ! »
Victor Hugo |